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Cela telqu’un début. Je fallasifiais ces dépuiseries profondes et
lâches depuis quelques siècles déjà. Je m’excristolais, je zozotais, j’avalouais entre les couvertures de mon vieux lit, de mon vieux cher lit. Je trembloïtais dans ma chambre d’hôtel, rue
des Deux-Rives, Paris, vers la gare du Nord, là-haut. J’y persilistais dans une toujouterie démographique, au bout de huit cent trente ans de mon existence trébuchante,
approximativemental.
La ville alentour gargouillait, crissait et falabochait. C’était les
décembres de chaque année, les soldées, les mois du blanc et du camping-car ; la biologie se divertissait, les théâtres s’ouvraient Sarah Bernhardt en avant-première, dans les musées
coulaient des radeaux, la liberté guidait le peuple, les colonnes Morris jalousivaient les fontaines Wallace, Poubelle rejoignait Haussmann au chevet de Bienvenüe, une masse indistincte de
tourouloustiques saluait queue leu leu Eiffel : dans les artères bouchées de Paris c’était l’hypertension des tramways, les bousculades des globules rouges, la débrisure des langues
étrangelées dans des neiges artificielles, la circonscription des vitrinales ; bientôt Noël.
Je me pilongeais dans mes annales tartuffées de grossièretés
transpardonnables, je me dépilosais dans ma langue décomplexée, j’étais saltimbanque de mes propres mots, clown de mes surannées, ce jour-là où il fallait survivacer à mes huit cent trente et
un ans, commémoration de la plus grande catastrophe naturelle de l’humanité : ma naissance, un vingt-quatre décembre, ça ne s’inventait pas. Rien ne s’inventait.
Un serial killer d’un genre particulier hante les rues de Paris, les parcs accueillants à la nuit tombée, les escaliers des hôtels plus ou moins borgnes, les venelles sombres et les ruelles obscures : ciblant plus particulièrement certains vieux messieurs, le tueur les castre impitoyablement à coups de dents, les laissant ensuite se vider rapidement de leur sang après qu’ils aient profité une dernière fois de leur sexe. Une épopée cruelle nous est ainsi impitoyablement contée, mêlant l’horreur flamboyante et le rire en coin, l’âpreté de la survie psychique de justesse et la concentration permanente d’une langue également déchiquetée à laquelle aucun mot-valise ne saurait suffire. Entre tendresses paradoxales et crimes sanglants, entre complicités inavouées et épanchements solitaires, un étrange chemin se dessine, depuis ses déjà lointaines origines hambourgeoises « chez les protestants du Dœtcheland » jusqu’aux moindres sentiers bifurcatoires d’une Ville reine, ici, des jours et des nuits.
J’avais beau me dire que non, et que c’était si, si, je regrôterais et je pleurerais le grand-frère jusqu’à mes jours derniers. Je pouvais haïr ce grand-frère, je ne pouvais l’oublier. C’était ça qui collait à ma peau, c’était ça qui ne s’enlèverait plus. On ne laissait pas sa peau au premier venant. Il n’y avait pas de porte-manteau pour la peau dans n’importe quel bistrot. Et sous ma peau j’étais nu jusqu’à la peau du grand-frère. Et les regrôts, c’était un cafard qui enfantalisait sous le lit entre les bocaux avec dedans les phallustes avortons d’une mascoulinité condamnée. Et le cafard avait des pattes pour grouiller et des yeux pour voir dans les obscurs.
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Dans « Ulla ou l’effacement », en 2019, Hambourg était Pâleville et déployait pour le narrateur d’Andréas Becker une formidable mélancolie, autour de l’agonie silencieuse d’une femme et d’une mère, mélancolie qui apaisait provisoirement le ressentiment légitime vis-à-vis d’une ville-État glaçante et traumatisante. La cité hanséatique pulvérisée en 1943, devenue l’un des symboles flambards du Wirtschaftswunder moqué dès 1956 par le grand Heinrich Böll (« Es wird etwas geschehen »), était déjà à l’origine secrète, comme en filigrane de malédiction, du monumental et inaugural « L’effrayable », en 2012. Si « Nébuleuses » (2013) et « Les invécus » (2016) étaient partis explorer avec un extrême brio d’autres facettes limitrophes et joueuses du lien étroit entre traumatisme profond et langue mobile, « La castration », publié en 2020 aux éditions d’En Bas, à nouveau, fait ainsi figure, en partie, de retour aux sources, en confiant à un nouveau narrateur le soin de fuir l’enfer familial hambourgeois initialement décrit, n’emportant avec lui, dans le train de nuit à escale unique l’emmenant à la gare parisienne du Nord, qu’une pauvre valise contenant deux bocaux de formol au contenu scandaleux – et de déployer dans certains quartiers de la capitale française les potentialités ambiguës d’une renaissance ou d’un effondrement à terme. Magie du verbe et artifices savoureux de la langue scrutée dans ses moindres interstices, dans ses possibilités comme dans ses impossibilités : même au cœur de l’horreur et de la fange étrange, comme il nous l’avait déjà prouvé avec l’étonnant « Gueules » de 2015, Andréas Becker est capable de faire vibrer pour nous une tendresse hautement improbable, de laisser résonner le rire là où l’on attendrait sans doute plus immédiatement le cri d’effroi, de prendre le risque d’offrir à l’amour – éventuellement paradoxal – de s’exprimer, alors même que la haine hurle de toutes ses forces, du plus profond des origines. Dans la découverte toujours recommencée d’une langue unique se réinventant en permanence, « La castration » est un choc, brutal et beau, à nouveau.
Nous aurons la joie d’accueillir Andréas Becker chez Charybde (Ground Control, 81 rue du Charolais 75012 Paris) le jeudi 22 octobre 2020 à 19 h 30, pour une rencontre accompagnée de lectures par le dramaturge, metteur en scène et comédien Yann Karaquillo.
Dedans ce vécu abrouptissant des Dœtchelandais, les forsythias
fleurissaient une fois an, au trop court princetemps, pour s’abandonner dans un dès-lors fatigué et pétrir dans des bourrasques salées et sous les grains d’une pluie déprimante. Et puisé, il
y avait les porcs, et les patates, les carottes et les blés, les orges et les malts, les mariages et les enterrements, il y avait les lalacolles et les pièces d’or trébuchantes, et pis voilà,
qu’on n’en parle plus. C’était des vies de silence, des vies de trahidition, des vies vécues en défaut, des vies d’éruptions fiévreuses de leur perversité enselevie qu’il fallait à tout prix
museler dans les platitudes de leurs paroles.
Et avec ça, les Dœtchelandais avaient construit des villes, et dans
ces villes, ils avaient posé des vies comme à la tombola des naissances. Ils s’enqueulaient aux quartiers chauds devant les écrans noirs des sexe-ô-shops. Par l’engoulûment des pièces de cinq
dœtchemarks dans la fente prévue à cet effet, les mascoulains prosternants du Nord y bouscoulaient vers un cul pornohontographique. Dans les cabines des table-dances, annahalant au rythme du
poignet, surchargeant veines et artères ils se masturbataient si fort qu’ils faisaient s’ébranler tout un quartier de bric et de broc, de baraquements en carton-pâte, tout un bidonville de
dépravanation et de tapinage et qui portait le nom de Saint-Paul. Ils suffoquaient la langue enflée, emboutonnaient les peaux autour du nez et des bouchures et congestionnaient tout fluide de
leurs corps gras dans une constipation d’abominables. Leurs yeux sortaient des crânes à force d’hypertension, de suppression d’emploi et de relations commerciales au plus haut niveau.
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